Paroles d'arbre...

  La vie dans un arbre

 

Je suis solide, bien ancré dans la terre

Je suis souple et gracieux, je bouge dans les airs

J’accepte le temps, quoi qu’il advienne, la pluie et le vent

Je prends tout à mon avantage, façonnant feuilles, racines et fleurs

Je ne possède ni sourires ni pleurs

Je regarde passer l’histoire d’un œil indifférent

Je me déshabille en hiver, m’habille au printemps

Je fabrique des anneaux, année après année

Je deviendrai un jour de l’engrais pour ma forêt

 Martha

Je suis un très vieil arbre, né il y a bien longtemps. Les saisons ont marqué mon tronc et mes branches. Mes feuilles ont couvert le sol pour amortir le pas des promeneurs àtravers au moins deux siècles. Le vent a tentéplusieurs fois, dans ma jeunesse de me déraciner, de me faire plier à son gré, mais j’ai résisté. Si on m’autopsiait on trouverait les marques cerclées de mes années, mon bois serait certainement très apprécié. Mais je suis encore là au milieu de la forêt ayant donné naissance à une nombreuse progéniture. C’est agréable d’être ainsi entouré.

                  A mon pied il y a de l’herbe bien verte et un jour de l’an 1977 un promeneur nomméCharles Henri s’est assis là. C’était, lui aussi, un vieux monsieur qui se récitait des poèmes. L’air doux de cette fin de printemps faisait chanter les oiseaux posés sur mes ramures et il faisait bon vivre. Si le soleil se montrait plus vif on pouvait me contourner pour profiter de mon ombre et d’un peu de fraicheur.

                  Charles-Henri était heureux, et à son âge pourtant bien moins important que le mien. C’était un bonheur tranquille qu’il appréciait.

                  Je  plaignais un peu en agitant mes branches, cet homme dont la vie terrestre était si courte, moi qui avait vu défiler à mon pied de jolies dames aux toilettes désormais oubliées, recevant les hommages délicats d’un monsieur portant une lavallière ou un canotier, oui, j’avais vu tout cela et bien d’autres choses encore qu’il ne serait pas séant de vous raconter.

Françoise                  

Je suis ici depuis plus de 500 ans, solidement enraciné dans ma forêt. J’en ai vu passer des années, fait pousser des anneaux d’écorce, subit la force des tempêtes, absorbé des rayons de soleil, bu l’eau des orages. Je m’habille chaque printemps de belles feuilles vertes, pour attirer les oiseaux et les abeilles qui survivent encore, et fournir de l’ombre, à moi-même et à toute créature vivante. En automne, je me charge de couleurs chatoyantes, de rouges et d’oranges éclatants. Et puis, je me déshabille lentement – mon strip-tease annuel. Je ralenti, je me concentre sur mon axe essentiel, jusqu’au printemps suivant. Et ainsi va la ronde des saisons.

 

Pendant tout ce temps, j’en ai vu des choses ordinaires et extraordinaires, que je ne comprends pas toujours, mais c’est sans importance ; l’important c’est de durer. Si je pouvais parler, vous en seriez étonnés. Tiens, par exemple, cette année, le 8 janvier 2058 (selon vos calculs humains du monde occidental), j’ai eu une expérience originale. Une jeune fille est venue chanter sous mes branches en plein hiver, saison qui existe encore pour quelques semaines dans cette forêt isolée. Elle avait une voix sublime, semblable au vent qui souffle dans les cimes. Elle a chanté pendant des heures – j’en ai eu des tremblements, et j’ai même fait pousser quelques feuilles avant l’heure tellement j’en étais ému.


Et puis, elle est partie comme elle est venue. Ça m’a fait un bien fou de comprendre que la musique continue à exister et à s’exprimer par ces temps sombres et pollués mais si chauds. Avant de partir, elle a gravé son nom sur mon tronc, quelque chose que je désapprouve habituellement, mais ça me fera un souvenir si toutefois je commençais à perdre la mémoire. C’était un drôle de nom, bien assorti à sa voix de rêve. J’ai senti son couteau écrire : « Minette Contralto ». J’espère qu’elle reviendra pour un « bis »!

 Martha

Je suis né au Printemps 1800, dans un petit bois en haut d’une colline de Vendée. J’ai poussé, entouré de mes frères, mes cousins, mes pairs. J’ai grandi au fil des saisons, tantôt balloté par la pluie et le vent, tantôt chauffé par les ardents rayons du soleil. J’ai été chatouillé par mes petits bourgeons, je me suis senti parfois nu, j’ai été fier de mes parures vertes puis jaunes. J’ai ressenti des picotements dans mes racines lorsqu’elles s’enfonçaient toujours plus profondément dans la terre.

 

Mais ce qui plaisait par-dessus tout, c’était les rencontres que j’ai eues la chance de vivre avec des humains. Certains sont passés à mes pieds sans même me prêter la moindre attention. D’autres, assis sur des chevaux, ont frôlé mes branches les plus basses. Certains indélicats ont hélas laissé autour de moi quelques traces de leur passage, après avoir festoyé.

 

De ces rencontres, je garderai en mémoire un souvenir émouvant. Un jeune homme peint sur son chevalet à quelques mètres de moi, il me fixe intensément, je comprends alors que je suis l’objet de son intérêt. Je déploie alors avec plus de force mes branches recouvertes de mes belles feuilles éclairées par le soleil.

Passe alors entre lui et moi une jeune femme : bien que n’étant pas d’une beauté exceptionnelle, elle a un visage doux et rayonnant. Mais le charme qu’elle dégage retient l’attention de celui qui n’avait d’yeux que pour moi.

Ce jour-là, ces deux êtres ont commencé une histoire que les humains appellent « l’amour ».

 

Cette histoire n’a hélas pas duré très longtemps. Un jour j’ai revu ce jeune homme. Il pleurait… Il s’est approché de mon tronc, il y a alors planté une petite pancarte sur laquelle était inscrit « Adélaïde Jacobson – 1870 ». Son jeune époux marquait ainsi l’emplacement de leur première rencontre.

Martine

Je suis bien isolé au bout de la forêt et je domine par ma puissance tout l’environnement. Autour de moi de jeunes arbustes dont la cime arrive à peine à la hauteur de mon tronc.

 

Il y a vingt ans, je n’étais pas le seul de mon espèce. Nous attirions vers nous des groupes de gens venus pique-niquer. Après le repas,  ils s’allongeaient à l’ombre de nos feuillages pour faire une bonne sieste. Leurs rires résonnaient si fort que j’en ressentais des vibrations dans mon tronc. Les adolescents m’entouraient de leurs bras pour compter jusqu’à cent pendant que les autres se cachaient dans les taillis ou derrière les autres arbres.

 

C’est en 1996, par un torride été, que cette vie en communauté avec toute ma famille a malheureusement cessé.  Un incendie a ravagé toute la forêt, certainement une imprudence, un feu mal éteint. Je ne peux imaginer des êtres à ce point malfaisants pour avoir essayé de supprimer toute une espèce volontairement ?

 

Je suis le seul rescapé. Une jeune fille a été cernée par les flammes et a péri malgré l’arrivée des secours. En souvenir de cette catastrophe, une plaque a été apposée sur mon tronc avec cette inscription :

 

Monique Buffet, 16 ans, a péri dans l’incendie du 23 avril 1996.

Promeneurs qui passez par là, soyez prudents.

Il faudra encore longtemps avant que cette forêt retrouve sa splendeur d’autrefois !

 

J’ai été témoin de ce drame et je n’ai rien pu faire.  Je suis très solitaire, sans aucune famille de mon âge et c’est pourquoi j’essaye de m’élever très haut vers le ciel pour la retrouver.

                                                                                                                                   

Renée

Je sentais le soleil me chauffer doucement, et mes feuilles s’agiter grâce à un petit vent qui s’engouffrait sur la place. Le calme relatif était revenu autour de moi, après cette dernière période mouvementée du printemps 1968. Les véhicules à moteur qui empestent étaient revenus et circulaient à nouveau. Les adolescents qui fréquentaient le quartier étaient partis en vacances ; ils avaient cessé de hurler et de lancer les pierres du chemin, qu’ils avaient entassés par endroit. D’autres humains recouverts d’écorces lançaient des fumées et, comble de l’impolitesse, tapaient avec des branches taillées sur les jeunes qu’ils pouvaient attraper.  Comme si le bois d’arbre était fait pour cela !

 

Je les aimais bien, les petits jeunes, ils étaient vifs, joyeux, bruyants, certes, mais ils affectionnaient les arbres et passaient beaucoup de temps assis près de moi dans l’herbe, le peu d’herbe qu’on trouve dans ce monde de pierres... Un surtout revenait assidument. Ses congénères l’appelaient Martin. Martin Pignon : son nom me faisait penser à un pin que j’avais connu dans ma jeunesse et qui produisait des pignons, justement. Cet arbre avait disparu pendant un hiver de la grande agitation guerrière, vers les années 1940.

 

Martin Pignon passait des heures sous mes branches, à tourner des feuilles blanches empilées où étaient inscrits des motifs noirs. De temps en temps, ses yeux se levaient vers moi, son regard se perdait dans mes ramures... Puis il retournait à ses chers papiers, qu’il appelait « livres ». Sauf les quelques semaines qui précédèrent son départ. Il était accompagné d’une jeune fille, souvent ils se donnaient rendez-vous à mes pieds. Je les entendais murmurer, rire, je les voyais mélanger leurs branches et s’embrasser. Ils disaient même « notre arbre » en parlant de moi. Comme si je pouvais leur appartenir !

 

Et puis un jour, ils ont ramassé quelques uns de mes glands, qui commençaient à tomber en cette fin d’été. Ils sont venus poser leurs mains sur mon tronc. Je pouvais sentir leur chaleur à travers mon écorce. Ils m’ont fait leurs adieux, me promettant de planter mes enfants près de la maison qu’ils allaient rebâtir dans le Larzac, pas loin d’une forêt pour qu’ils ne se sentent pas isolés.

 

Alors, moi qui ai mes racines plantées dans ce square depuis si longtemps, moi qui suis si utile aux humains qui vivent loin de la nature, moi qui les aide à respirer, je tends fièrement mes branches vers le ciel : mes descendants verront du pays !

 

Myriam

Issu d’une famille traditionnellement de centenaires, voilà déjà 80 ans que je m’étale et me renforce planté au beau milieu d’un champ face à une forêt de maigres feuillus.

Ma stature imposante, mon tronc large et rassurant, ma ramure de branches tortueuses et sans fin sont autant d’arguments qui me permettent de résister au temps et à toutes formes d’agression.

J’ai ainsi passé sans trembler la grande tempête de 1999, alors que mes compères de la forêt se sont tous couchés. Aujourd’hui ce sont leurs jeunes descendants qui me regardent, ils se serrent les coudes pour mieux résister aux aléas de la nature.

Ma position, ma force, ma longévité font de moi un arbre remarquable et m’offrent le privilège d’abriter nombre de visiteurs très variés : des animaux qui profitent d’une ancienne blessure à la base de mon tronc noueux pour se reposer et se cacher de prédateurs affamés ; des enfants qui escaladent mes racines débordantes; des familles qui déballent à l’ombre de mon feuillage des pique-niques gigantesques comme en témoignent quelques restes indestructibles ; et surtout des amants  en quête d’intimité loin des curieux. La collection de cœurs gravés cicatrisés sur mon tronc en est le témoin. Parmi ceux-là, il y en a un que je préserve particulièrement, celui de Jérôme Legrand sculpté le 5 avril 1968 alors que j’étais en plein épanouissement de printemps, une saison particulièrement favorable à l’amour, la folie, l’enthousiasme. De mémoire d’arbre je n’avais jamais assisté à une telle frénésie pour un premier rendez-vous. Présentés l’un à l’autre la veille lors de la pendaison de crémaillère d’amis communs, Jérôme et Rosalie décrivirent un choc électrique, un passage de courant, une attirance incompressible. La nuit leur porta conseil, ils se retrouvèrent et s’unirent sous ma protection, se jurant de se retrouver même lieu, même heure après 50 ans de jours heureux, c’est-à-dire dans 3 ans, le 5 avril 2018.

Monique